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Le football vient de perdre son plus illustre ambassadeur, son totem et l’une de ses plus grandes références. Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé, s’est éteint à l’âge de 82 ans des suites d’un cancer, et c’est tout le monde du ballon rond qui est orphelin, car il a souvent été présenté comme le meilleur joueur de l’histoire.
Depuis des semaines, son état de santé était devenu préoccupant et sa famille s’était réunie autour de lui tandis que les Brésiliens se préparaient à la triste nouvelle.
Il est, déjà, le seul à avoir gagné trois Coupes du monde (1958, 1962 et 1970). Il a également participé aux premières heures de gloire du football brésilien, celles qui contribuent aujourd’hui encore à la légende sportive de ce pays. Ce n’est donc pas un hasard s’il a aussi été désigné comme athlète du siècle en 1999 par le Comité international olympique. Il gagna son premier Mondial alors qu’il n’avait que 17 ans et endossa la panoplie de jeune prodige grâce notamment à un but somptueux marqué contre l’équipe de France en demi-finale (5-2).
Mais la Coupe du monde de 1970 demeure à jamais son plus glorieux moment. Cette année-là, à 29 ans, il fut en pleine possession de ses moyens et mit son costume de chef d’orchestre pour guider l’une des plus belles équipes que le football nous ait offertes. Ce Mondial mexicain étant le premier à être diffusé en direct et en couleur, les prouesses de Pelé restent bien ancrées dans l’imaginaire collectif. Il doit aussi son titre de meilleur joueur de l’histoire à cette exposition médiatique inédite et relègue au second plan les gloires antérieures du foot international comme Alfredo Di Stéfano.
Ses actions ratées ont contribué à nourrir sa légende, mais aussi à enjoliver de manière considérable les carrières de ses adversaires. Pour le quart de finale 1970, il offre l’occasion au gardien anglais Gordon Banks de réaliser l’arrêt du siècle via un tir de la tête a priori imparable qui percute le sol avant de filer au ras du montant, mais le portier sort un plongeon impensable pour dévier la balle au dernier moment.
Lors de cette même compétition, en demi-finale, Pelé réussit un grand pont sur le gardien uruguayen, sans toucher le ballon au moment du duel, ce qui trompe complètement ce dernier. Sauf que le tir du génie brésilien frôle le montant droit alors que le but était grand ouvert. Au lieu de relativiser le talent de Pelé, ces deux loupés ont renforcé son aura et démontré son génie.
Le maillot auriverde (97 buts en 91 sélections) ne sera pas la seule étoffe à contribuer à la légende de Pelé. Sous les couleurs du Santos FC, il conduit cette équipe au panthéon mondial du ballon rond. Un an avant l’arrivée du prodige en 1956, le club ne compte que deux titres de champion régional de São Paulo. Sous son règne, le club gagne cinq fois le championnat national entre 1961 et 1965, deux Copas Libertadores (la version sud-américaine de la Coupe des champions) et deux Coupes intercontinentales en 1962 et 1963. Après le départ du numéro dix brésilien, le Santos FC est classé 5e plus grande équipe du XXe siècle par la Fifa.
Si Pelé est considéré comme le plus grand de tous, il le doit aussi à sa propension à ne pas avoir raté ses rendez-vous cruciaux, contrairement à Johan Cruijff (finaliste du Mondial en 1974) et à ne pas s’être fait trop étourdir par la célébrité, tel Diego Maradona (suspendu pour usage de cocaïne). Il est le symbole de la rationalité sportive. Son talent se met au service du spectacle, mais c’est aussi sa meilleure arme pour vaincre. Il n’est pas un puriste du jeu comme son homologue néerlandais fier d’avoir perdu face à la RFA parce que son équipe des Pays-Bas avait tout de même marqué les esprits. Il est un gagneur qui raisonne avec des objectifs chiffrés, comme dépasser les 1 000 buts inscrits (1 281 au total en 1 363 matchs sur 21 ans de carrière).
Pelé n’incarne donc en rien la face dionysiaque et carnavalesque du Brésil, celle de l’alcool et des excès, mais le versant apollinien lié au culte et au soin du corps. Né en juin 1940, fils d’un footballeur amateur, il grandit à Três Corações, dans l’État du Minas Gerais, au nord de Rio de Janeiro. Victime d’une grave blessure, son père avait échoué à l’orée d’une grande carrière. Conséquence, le jeune Edson Arantes do Nascimento n’envisage pas le football comme un loisir, mais comme une profession. Il adopte cette vision non hédoniste du ballon rond dès l’âge de 15 ans lorsqu’il débarque au Santos FC et qu’il est logé dans la Concentraçāo, l’hôtel qui sert d’appui pour les mises au vert des joueurs pros. Il mène là-bas une vie monacale et se montre extrêmement soucieux de son corps. D’ailleurs, Pelé n’est pas un colosse au physique de Hulk. Lorsqu’il était joueur, il mesurait 1,72 m pour 75 kilos et chaussait du 39. Mais son anatomie était harmonieuse et bien proportionnée, suffisante pour lui permettre de devenir un joueur de niveau planétaire et de nous régaler par des buts ou des actions d’anthologie.
La revanche sur la vie et la réussite par le prisme de l’échec du père, tous les ingrédients de la success-story sont réunis. Il n’est pas un héros racinien comme Garrincha, vaincu par ses démons. Il est un personnage de Hollywood qui va jusqu’au bout de son happy end. Pelé véhicule comme message aux yeux des élites que le travail et l’abnégation paient. Il est alors un exemple idéal pour ne pas désespérer les classes populaires qui ont raté le train de la prospérité économique. Il est une hagiographie du « petit Noir » qui surpasse les préjugés racistes et les barrières sociales, sans la verve revendicative de Muhammad Ali, ce qui rassure les annonceurs. Il est la preuve ultime de l’universalité du sport, une version édulcorée de la négritude, de son tropicalisme, de son tiers-mondisme. Il n’oppose pas les Noirs à l’establishment et ne s’inscrit pas dans une logique communautariste.
Non, le leitmotiv de Pelé est de jouer sur le terrain de la White Class, au sein d’une société brésilienne où l’élite a la peau blanche. Il est l’un des premiers Noirs, en 1974, à signer un contrat de publicité avec Pepsi-Cola. Il devient ministre des Sports de 1995 à 1998 : jamais une personne de couleur n’avait exercé une telle haute responsabilité jusque-là. Il n’est plus un Afro-Brésilien originaire des favelas, il est désormais un notable, invité aux soirées mondaines. La fée football l’a fait changer de couleur.
Sa notoriété lui a même permis de partager la vedette sur grand écran avec Sylvester Stallone dans le film À nous la victoire (1981) et de s’offrir un bain de foule avec le public américain du club de Cosmos de New York, le dernier club de sa carrière. Un challenge plus mercantile que sportif pour ce footballeur, certes, extraordinaire, mais qui avait ses heures de gloire derrière lui.
À sa manière, Pelé a dépassé le cadre du football pour transgresser les codes sociaux et raciaux du Brésil. Mais il n’est pas devenu pour autant un serviteur docile du pouvoir. En tant que ministre, il s’est opposé aux diktats du football brésilien incarnés par les élites blanches et menés par l’ancien président de la Fifa João Havelange à propos d’une réforme sur la transparence financière des clubs et la lutte contre la corruption.
Son après-carrière constitue d’ailleurs aussi une révolution. Il est le premier sportif retraité à obtenir un rôle important auprès de l’ONU et de la Fifa pour mener des actions humanitaires. Messages de prévention contre la drogue, commission du fair-play, Téléthon de l’Unesco pour les enfants en difficulté et même une participation au processus de paix israélo-palestinien, il aura été un exemple de reconversion pour les gloires futures comme le Brésilien Ronaldo ou Zinedine Zidane en utilisant sa notoriété pour des causes nobles. Une légende du football d’autrefois et une inspiration pour les joueurs du XXIe siècle, la trace qu’il laisse est immense.
Écrit par: Mayottefm
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